Lors d’une consultation généraliste, certains silences en disent long. Un regard fuyant, un corps tendu, une plainte somatique floue, récurrente, sans cause organique clairement identifiée. Derrière ces signes ténus, parfois dissimulés derrière la banalité du quotidien, peuvent se cacher des violences sexuelles. Les repérer exige du médecin généraliste une vigilance constante, une écoute bienveillante et un savoir-faire clinique adapté. Car poser les bons mots, c’est déjà briser l’isolement, ouvrir une porte vers la reconstruction. Mais comment repérer les signes ? Quels sont-ils ? Et surtout, comment agir en conséquence ?
- Que regroupent les violences sexuelles ?
- Quels sont les signes et les symptômes de violences sexuelles à surveiller ?
- Mais comment dépister correctement une violence sexuelle en tant que médecin ?
- Comment agir en cas de suspicion de violences sexuelles ?
- Quelles sont les responsabilités des professionnels de santé ?
- Prévenir et sensibiliser aux violences sexuelles : quel rôle pour le médecin ?
Que regroupent les violences sexuelles ?
Les violences sexuelles regroupent un ensemble d’actes à caractère sexuel commis sans le consentement de la personne. Elles incluent :
- le viol (rapport sexuel imposé par la force, la menace, la surprise ou la contrainte) ;
- l’agression sexuelle (attouchements, caresses imposées) ;
- le harcèlement sexuel (propos ou comportements à connotation sexuelle répétés, créant une situation hostile, dégradante ou humiliante).
Ces violences peuvent survenir à tous les âges, dans tous les milieux, et concernent aussi bien les femmes que les hommes, bien que les femmes et les enfants restent les principales victimes.
Selon les données de Santé publique France, 14,5 % des femmes et 3,9 % des hommes déclarent avoir subi des violences sexuelles au cours de leur vie. Le premier viol survient dans près de 40 % des cas avant l’âge de 15 ans. Les enfants, les personnes vulnérables ou en situation de dépendance, ainsi que les personnes LGBTQIA+ sont particulièrement exposés.
Quels sont les signes et les symptômes de violences sexuelles à surveiller ?
Les signes physiques
Certaines atteintes physiques peuvent alerter :
- ecchymoses ;
- stigmates de coups et blessures ;
- plaies ;
- lésions traumatiques ;
- lésions anogéitales ;
- fissures ;
- douleurs pelviennes inexpliquées ;
- infections sexuellement transmissibles récidivantes ;
- etc.
Mais l’absence de marque corporelle ne doit en aucun cas écarter le soupçon. Beaucoup de victimes ne présentent aucune lésion visible.
Les signes psychologiques
Anxiété, dépression, troubles du sommeil, isolement, repli sur soi, automutilation, idées suicidaires... Ces symptômes sont fréquents chez les victimes. Certains développent un état de stress post-traumatique, parfois plusieurs années après les faits. Le corps et l’esprit gardent une mémoire de l’agression, qui peut resurgir dans un contexte de vulnérabilité. Le corps et l’esprit gardent une mémoire de l’agression, qui peut resurgir dans un contexte de vulnérabilité. Cette mémoire peut être fragmentée : il arrive que certaines personnes présentent une amnésie traumatique, ou des phénomènes de dissociation, rendant difficile l’accès au souvenir de l’événement ou entraînant une sensation de détachement de soi-même ou de la réalité.
Les indicateurs comportementaux
Des changements soudains de comportement, un évitement marqué (de certains lieux, personnes, examens médicaux), un désintérêt pour la sexualité ou au contraire des comportements sexuels inadaptés peuvent être des signaux d’alerte. Chez l’enfant, des régressions (pipi au lit, peur de l’obscurité), ou une hypersexualisation du comportement doivent faire l’objet d’une attention particulière.
Mais comment dépister correctement une violence sexuelle en tant que médecin ?
L’anamnèse reste un outil central. Aborder la question des violences doit se faire avec délicatesse, sans brusquer. Le médecin peut, dans un climat de confiance, poser une question ouverte : « Est-ce qu’il vous est déjà arrivé qu’on vous impose quelque chose que vous ne souhaitiez pas ? ». L’objectif n’est pas de forcer le récit, mais d’ouvrir un espace où la parole peut émerger.
Des questionnaires validés, comme le HITS (Hurt, Insult, Threaten, Scream) ou le WAST (Woman Abuse Screening Tool), peuvent être utilisés en consultation, notamment en médecine générale, pour faciliter le dépistage. Ces outils ne remplacent pas l’échange mais peuvent soutenir le diagnostic.
Comment agir en cas de suspicion de violences sexuelles ?
Lorsqu’un patient évoque une situation de violence, le médecin doit adopter une posture d’écoute active, sans interrompre, sans émettre de jugement. Réaffirmer que la victime n’est pas responsable, que sa parole est entendue et prise au sérieux, est un premier pas pour mettre le patient en confiance.
Une fois la parole recueillie, l’orientation vers des structures spécialisées s’impose : psychologues, centres de prise en charge des victimes, planning familial, associations d’aide aux victimes, maisons des femmes. Le médecin traitant peut jouer un rôle pivot dans ce parcours.
La prise en charge médicale dépend du délai depuis l’agression. Dans les 72 heures, il est impératif d’orienter rapidement la personne vers un service d'urgence ou un centre de soins spécialisés (urgences médico-judiciaires, UMJ). Cela permet :
- La recherche et la conservation de preuves (prélèvements ADN, constats médicaux),
- La prévention des IST et de la grossesse (prophylaxie VIH, contraception d’urgence),
- Un soutien psychologique immédiat.
À retenir : en cas d’urgence (agression dans les dernières heures ou jours), il faut orienter sans délai vers les services hospitaliers compétents. Des plateformes comme arretonslesviolences.gouv.fr ou le numéro 3919 peuvent également guider les victimes. En cas de suspicion de soumission chimique, un portail dédié permet également de signaler les faits : lecrafs.com.
Quelles sont les responsabilités des professionnels de santé ?
Les violences sexuelles ne relèvent pas uniquement de la sphère privée. Elles constituent une problématique de santé publique. Il est donc essentiel que les médecins généralistes soient formés, sensibilisés et outillés pour reconnaître les signes, poser les bonnes questions et orienter efficacement.
Le secret médical n’est pas absolu. En cas de danger immédiat chez un mineur ou un adulte vulnérable, le médecin peut effectuer un signalement au procureur ou une information préoccupante au CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes). Il n’est pas nécessaire d’avoir la certitude des faits : le doute suffit pour alerter les autorités.
Chez l’adulte, le secret médical s’impose, sauf si deux conditions sont réunies : les violences mettent la vie de la victime en danger immédiat et la victime n’est pas en mesure de se protéger du fait de la contrainte morale liée à l’emprise exercée par l’auteur. Dans ce cas, un signalement sans consentement est possible, mais le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime, ou à défaut, l’en informer.
En toute situation, il est essentiel de bien connaître ce cadre légal pour protéger sans trahir la confiance, et de documenter les faits de manière rigoureuse : description des lésions sans interprétation, discours rapportés entre guillemets, formulation prudente, sans citer de noms. Prévoir un suivi, notamment chez l’enfant, est indispensable.
Prévenir et sensibiliser aux violences sexuelles : quel rôle pour le médecin ?
Aborder la question des violences lors d’une consultation ne doit pas être tabou. Au contraire, poser la question de manière systématique, dans un cadre confidentiel, peut favoriser la révélation. Lors d’un suivi gynécologique, d’une consultation pour dépression, d’un bilan de santé : autant d’opportunités pour prévenir, repérer et soutenir.
De nombreuses campagnes nationales (Stop Violences, #NousToutes, etc.) et outils sont à disposition des professionnels. Des formations, fiches réflexes, protocoles d’urgence sont également disponibles via les agences régionales de santé, les collèges de médecine générale ou les sites officiels comme celui de la HAS.
Les violences sexuelles ne laissent pas toujours de traces visibles, mais elles impactent durablement la santé physique et mentale des victimes. Le rôle du médecin, en première ligne, est essentiel : savoir repérer, écouter, orienter et soigner, sans minimiser ni juger. Chaque question posée avec justesse, chaque silence respecté, chaque prise en charge rapide est un pas vers la justice et la réparation. Agir, c’est aussi refuser que ces violences continuent de se taire.