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Fils du Dr Claude Grange, expert des soins palliatifs depuis plus de 30 ans et fondateur du service de soins palliatifs de Houdan, Victor est le réalisateur du documentaire « Vivants », un film percutant et émouvant d’utilité publique, à l’aube des débats et du projet de loi sur la fin de vie. Chez Santé Académie, nous avons co-organisé l’avant-première lyonnaise de ce film : une soirée émouvante qui a réuni dans un lieu prestigieux plus de 300 personnes. Au-delà d’un film sur la fin de vie, c’est une véritable ode à la vie que nous livre Victor derrière sa caméra. Retour sur la genèse de ce documentaire et les messages qu’il souhaite faire passer !

Pour quelles raisons as-tu décidé de réaliser le film Vivants ?

J’ai toujours baigné dans l’univers des soins palliatifs. Cela fait maintenant 25 ans que mon père travaille dans ce secteur. J’ai toujours su, déjà de par notre histoire personnelle et familiale, que j’avais quelque chose à raconter autour de ça. C’est une succession d'événements qui a mené à la réalisation de ce film, avec notamment le départ à la retraite de mon père en 2015. 

Je ne me voyais plus tourner dans le service de mon père, sans ce dernier. Ce départ a été, pour moi, synonyme d’abandon de mon projet de film. C’est cinq ans plus tard que, lors d’un dîner avec mes parents, l’idée qui s'était envolée cinq ans auparavant, a germé de nouveau. Ma mère m’annonce que l'hôpital a contacté mon père afin de reprendre le service et essayer de le sauver, car à cette époque déjà, il était en péril. Concordamment, je suis devenu père pour la première fois. C’est un événement qui amène à se questionner pas mal sur la vie, évidemment, mais aussi sur la mort. 

Enfin, j’ai toujours aimé créer des vidéos, raconter des histoires, mais plus pour faire rire les gens (des vidéos de divertissement, des pubs pour les marques, les réseaux sociaux). Je m’y retrouvais créativement, mais pas d’un point de vue du sens, j’avais envie de créer quelque chose de plus profond. Je me suis dit que les planètes s'alignaient et que j’avais une deuxième chance de raconter cette histoire.

Les soins palliatifs, c’est un apprentissage de la communication, de l’éthique, de l’accompagnement au sein duquel le patient est au centre des préoccupations. Les médecins et soignants que tu as rencontrés au sein de ce service t’ont-ils semblé avoir des aptitudes et des qualités différentes que les autres soignants ?

J’ai côtoyé beaucoup de soignants dans le cadre personnel, mais jamais dans un contexte professionnel. D’abord, grâce à mon père médecin, évidemment, mais aussi, comme tout citoyen, pour les accouchements de ma femme, par exemple. Je trouve d’ailleurs que dans le cadre de service de naissance (le début de vie) ou de service de soins palliatifs (la fin de vie), il existe un parallèle dans la prise en charge : celui de prendre le temps, de prendre soin… On est vraiment considéré en tant que personne et non pas en tant que malade.

À Houdan, il s’agissait d’équipes en binôme (duo médecin-infirmier ou infirmier-aide-soignant) donc assez complémentaires et favorisant de multiples points de vue. Ils ont une capacité d’ouverture d’esprit, d’écoute, d’observation qui est assez impressionnante, ce qui permet à chacun de s'exprimer. De l’aide-soignant à l’infirmière en passant même par la personne qui s’occupe du ménage, chaque avis va être pris en compte et écouté.  Il ne s'agit pas toujours d’entendre ce que dit le patient, mais de lire sur son visage sa douleur ou son angoisse par exemple. Et ça, ça s’apprend. Ils se questionnent beaucoup, séparément et collectivement. Il sont à l’écoute des autres et sont perpétuellement en train de se remettre en question et tout ça, pour arriver à ce que le patient soit apaisé, qu’il ne souffre plus, que la famille le soit aussi. Finalement, à ce moment de la vie, il n’y a que ça qui compte. 

Alors que dans les services plus curatifs, il existe moins cette optique patient-centré : c’est le médecin qui soigne un patient. En soins palliatifs, la relation est plus horizontale, plus équilibrée.

Très peu de médecins sont formés aux soins palliatifs (seulement 2% des médecins généralistes optent pour une formation sur les soins palliatifs lors de leur formation médicale continue). Penses-tu que le sujet rebute dans la société civile ?

C’est sûr que je pense que c’est un sujet qui fait peur. Je l’ai remarqué à toutes les étapes du film. Rien qu’au commencement, mon propre producteur m’a dit qu’il avait un problème avec la thématique. Je le vois également lorsque je dis que, dans la vie, je réalise des films : les gens sont assez enjoués jusqu'au moment où je dévoile le thème de Vivants, les gens ont tendance à être sceptiques. Je pense que le sujet nous confronte à ce que chacun de nous a déjà vécu : la mort d’un proche, potentiellement difficile, mais aussi à notre propre fin. Dans notre société, on tient loin la mort de nos discussions et de nos pensées, elle est synonyme de dégradation, elle rebute.

Penses-tu qu’il rebute aussi la communauté médicale ? 

Moi, j’aimerais beaucoup pouvoir montrer le film dans des facultés de médecine. On apprend aux médecins que la mort est un échec, et qu’il faut soigner à tout prix. C’est d’ailleurs pour ça que l’on s’oriente vers la médecine la plupart du temps. C’est un changement total de paradigme qui n’est pas évident et, je le conçois. Les médecins qui se tournent vers les soins palliatifs sont en général pour ⅓ des généralistes, ⅓ des réanimateurs et ⅓ des gériatres : des spécialistes qui fréquentent souvent la mort. 

Les réanimateurs, c’est qu’ils ont envie de lâcher le guérir à tout prix et aller à contre-sens de ce qu’ils ont toujours fait. Mais globalement, j’imagine que cette orientation est liée à des histoires de vies, à des prises en charges dont ils ne sont pas satisfaits.

Le vrai problème, c’est que ces unités coûtent cher, que cela demande de former des équipes aux soins palliatifs : c’est un coût financier et un coût humain conséquent. Pourtant, ces services peuvent pallier à beaucoup de demandes liées à des souffrances. Derrière la volonté de mourir, qui peut parfois apparaître lors de maladie, se cache souvent et surtout la volonté de ne pas souffrir. 

Ton film est étonnamment joyeux et donne une vision de la mort assez sereine. Quels sont les retours que tu as eus depuis la réalisation de ce film notamment sur la connaissance des soins palliatifs et sur la vision que la population générale en a ? 

Il y a quinze ans, les gens n’avaient pas l’air de connaître les soins palliatifs. Aujourd’hui les gens connaissent, c’est mieux, mais en ont souvent une vision très noire sauf s'ils ont vécu une expérience (car les expériences sont plus souvent positives que négatives).

J’ai rencontré un jour une spectatrice qui m’a vraiment touché. Elle m’a indiqué qu’elle ne voulait vraiment pas venir voir le film et que c’était une de ses amies qui l’y avait poussé. Elle était fan de cinéma mais m’expliquait regarder seulement des films qu’elle projetait comme “positif”. À la fin de la séance, elle m’a expliqué avoir été apaisée, et ne pas du tout regretter d’être venue car, oui, je pense que ce film est hyper positif. Ce que je retiendrai de cet échange, c’en est la conclusion : “Le seul problème de votre film, c’est qu’il faut trouver comment donner envie aux gens de venir le voir.”

Ce qui est difficile, c’est que je ne peux pas réellement dire que c’est un film sur la vie, pourtant pour moi, ça l’est plus qu’un film sur la mort, d’où son titre Vivants. Je pense que la culture est une façon d’aborder le sujet de façon moins brutale. Je cite souvent l’Homme Étoilé qui est infirmier et créateur de bandes dessinées sur les soins palliatifs ou encore Claire Oppert qui joue du violoncelle dans les unités de soins palliatifs. Je trouve que ces évènements culturels permettent de libérer la parole et les échanges qui s’ensuivent sont souvent très forts.

Tu dis dans différentes interviews être “né dans les soins palliatifs”. Ta vision des soins palliatifs a-t-elle changé entre l’avant-film (la vision externe au service par le contact avec ton papa) et l’après film (la vision interne au service) ?

C’est un sujet qui m’a toujours intéressé de par mon père et je me suis toujours beaucoup documenté. J’ai toujours été intéressé par la relation à l’autre, or c’est quelque chose de très présent dans les soins palliatifs. La preuve, j’ai créé un lien très fort avec l’équipe de l'Hôpital de Houdan. J’ai également passé du temps avec les familles et les patients. C’était beau de voir comment une famille, qui arrive en étant sur la défensive, va repartir en remerciant les soignants et en étant reconnaissante, finalement. 

C’est plutôt dans l’après-film que ma vision a changé, et en négatif. Je vois actuellement qu’ils sont en difficulté, que le service ferme et ça me désole.

Vivre avec un père qui accompagne quotidiennement la mort t'a-t-il influencé dans ta vie et dans ta relation à la mort ? Cette relation à la mort a-t-elle changé depuis la réalisation du film ? 

Je suis né après un frère décédé que je n’ai pas connu. Petit, je culpabilisais en me disant que s’il n’était pas mort, je ne serais pas vivant. Maintenant, j’ai changé de paradigme. Je me dis que c’est grâce à cette histoire, à sa mort, que je suis encore plus vivant. C’est sûrement au plus proche de la mort qu’on se rend compte qu’on est vivant. 

Autour de moi, j’essaie de transmettre et d’échanger au maximum sur les soins palliatifs. Souvent les gens concernés ne sont pas prêts à parler des soins palliatifs : pour eux c’est toujours trop tôt. Alors que ce n’est jamais trop tôt, c’est juste une autre approche. Après je ne suis pas non plus expert donc je fais ce que je peux pour essayer de communiquer dessus. 

Dans le film, il y a une des patientes, de 36 ans, qui a fait plusieurs allers-retours entre le service de soins palliatifs et son domicile. Dans l’imagerie collective, on pense toujours que les soins palliatifs n'existent que pour mourir. Mais ce n’est pas le cas, les soins palliatifs peuvent stabiliser le patient : apaiser sa douleur, c’est un accompagnement, on prépare, on prend soin de toi. Oui, on le sait peu souvent, mais les aller-retours sont possibles. 

Le service de soins palliatifs de Houdan est en péril. Ton père prend sa retraite et il n’a pas, pour l’instant, de remplaçant. Penses-tu que les jeunes médecins sont réticents à travailler en soins palliatifs ? 

Quand mon père est parti à la retraite, il y a eu une médecin qui a pris sa suite, en étant à 50%. Et les autres médecins qui étaient là avant le départ de mon père sont partis. Elle s’est donc retrouvée à tenir le service seule, ce qui est difficilement tenable. Aujourd’hui, l’hôpital ne trouve pas. Pourquoi ? On manque de médecins sur tout le territoire. On paye des décisions prises il y a longtemps. En plus, il s’agit d’un petit hôpital de campagne et non pas d’un grand GH. 

Pourtant, Houdan dispose de plein de qualités. C’est une ville très sympa, très jolie, elle connaît le plein emploi. Elle est située à la campagne mais présente beaucoup de commerces. Je ne comprends pas qu’on ne trouve pas.

Suite à cette interview, nous avons été ravis d’apprendre que la pétition pour la réouverture de l’unité de soins palliatifs de Houdan a réuni près de 30 000 signatures. Cette pétition signée par des soignants, des familles de patients, des citoyens ayant vu le film Vivants, a eu gain de cause. Il y a une semaine, Catherine Vautrin annonçait l’arrivée prochaine de nouveaux médecins à l’USP de Houdan afin de continuer le travail entamé par le Docteur Grange depuis maintenant plus de 25 ans.

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